Soft power en majesté, comment Élizabeth II a renforcé le soft power du Royaume-Uni

Mario d’Angelo

Comme l’on pouvait s’y attendre, la disparition d’Élisabeth II a ouvert un moment événementiel planétaire. Les marques d’hommage se sont multipliées dans le monde : déclarations de chefs d’état et drapeaux en berne dans de nombreux pays dans et en-dehors du Commonwealth, illuminations spéciales à New-York, Paris ou Rio… jusqu’aux journalistes de nombreux journaux télévisés en Europe vêtus de noir. 

Comment expliquer cette formidable émotion et attention pour une reine sans réel pouvoir ? Nul doute que se concrétise là son capital symbolique et culturel et, ce faisant, la notable contribution de la souveraine défunte au soft power de son pays.

Incarnation de l’identité britannique

Outre-Manche, l’institution monarchique millénaire est gravée dans la mémoire collective. Elle s’appuie sur des rituels bien établis, revus d’ailleurs sous Victoria pour rendre le cérémonial encore plus éclatant. Alors que les monarques constitutionnels virent leur pouvoir réel diminuer, le protocole était affermi pour pouvoir faire d’eux l’incarnation de l’union et de l’empire en expansion. Solennités et pompe devaient assurer un rayonnement national et international dont la part prépondérante dépendrait du monarque symboliquement omniprésent (tout est fait en son nom). La plupart des fastes protocolaires assurant ce rayonnement ont perduré sous le long règne d’Elizabeth II, masquant en partie le déclin tangible du Royaume-Uni depuis la Seconde Guerre mondiale.

Mais le rite monarchique de la « mère des démocraties » parlementaires fait aussi de la fonction royale un dépositaire de la culture politique du pays et de ses valeurs universelles. Ainsi le couronnement, cérémonie d’abord religieuse venant investir la royauté de sacralité, a trouvé une interprétation profane : placer la personne royale dans la continuité de la nation, au-dessus du champ politique. Cette position auréolée a un effet sur la fonction comme sur la personne royale dans l’accomplissement de son rôle en lui apportant la légitimité de la tradition et en faisant d’elle l’incarnation de l’identité britannique. 

Figure positive et digne

La personnification de la fonction se fait à travers le style. Il s’exprime tant dans les obligations protocolaires strictes que dans des moments moins formels qui prendront une place grandissante au fur et à mesure que des touches de modernisation étaient apportées entre 1953 et 2022. 

C’est d’une figure qu’il convient de parler plus que d’une personne exerçant un pouvoir effectif : une figure féminine, souriante, doublée de douceur des manières et d’élégance des tenues. Tous éléments porteurs d’image positive, attractive et attachante. Une figure qui manie les signes. Si les discours de la reine sont soit convenus soit écrits par le gouvernement (donc lus), son propre soft power se joue quant à lui dans le symbolique. Il sert globalement le système institutionnel en adoucissant les rugosités de la vie politique : signes distants avec le style frontal de la Dame de fer, attachement affiché à Balmoral dans une Écosse aux velléités indépendantistes, chapeau aux couleurs de l’Europe lorsque triomphent les Brexiteurs, etc. 

La popularité de la reine a certes connu des bas mais un socle de confiance s’est forgé autour de plusieurs paramètres : intensité des visites internationales et des tournées dans le Commonwealth, admiration du respect de son engagement à vie au service du peuple et du Commonwealth, attractivité des cérémonies d’apparat, figure conciliante du never explain never complain.

La dignité de la fonction royale combinée à la longévité du règne et à la popularité acquise mondialement ont aussi induits une forme de charisme de la monarque. Il s’est traduit par de la déférence de la part de ses interlocuteurs comme en témoignent nombre de responsables politiques de pays étrangers s’étant trouvés dans cette situation. En outre, le temps long a induit expérience et connaissance des dossiers et des personnes, laissant une influence, non visible, de la souveraine tant au sein des institutions britanniques que du Commonwealth et dans les rapports internationaux. 

Médiatisation planétaire 

En déclarant avec détermination qu’elle servira à vie son peuple et le Commonwealth, la toute jeune Élisabeth prenait un engagement frappant. Enregistré et diffusé par la télévision, il pouvait être ressorti régulièrement des archives de la BBC pour rappeler ce pacte et son respect par la souveraine.

L’image de la reine a été dès lors mondialement médiatisée. La présence médiatique se renforcera par les multiples cérémonies royales prestigieuses (discours du trône, visites d’Etat, parades, jubilés) et les grands évènements familiaux. Il sera même actualisé par l’ajout d’une touche d’humour aux JO de 2012 (le saut avec James Bond) ou en 2022 (le thé avec l’Ours Paddington). Deux séquences qui soulignent la correspondance entre l’humour royal et le trait culturel britannique bien connu. Quant aux médias « people » qui ont si souvent tenu les Windsor sous pression, ils ont finalement servi l’image positive d’une « reine grand-mère » au cours des deux dernières décennies.

On peut aussi relever comme indicateur de la notoriété médiatique les 193 versions linguistiques de la page Elizabeth II sur Wikipedia. Certes moins que V. Poutine (216), N. Mandela (213) ou les Beatles (205) mais plus que Mao et le pape François (164), Madonna (141) ou la princesse Diana (107).

La médiatisation dans le temps long a affermi la stature internationale de la reine épaulée à partir de 2016 par les héritiers de la charge. Il n’est pas étonnant donc que de nombreux chefs d’état et de gouvernement soient présents à ses funérailles. L’imposant et impeccable spectacle cérémoniel que les Britanniques ont livré à la planète a refait de Londres pour un temps le centre diplomatique du monde. Ultime résultat élisabéthain au service du soft power britannique qui acquiert sur ce point un incontestable avantage compétitif sur d’autres puissances moyennes.


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