Claudia Stobrawa (membre correspondant) : Le Nikolaus Harnoncourt Zentrum

Présentation du Nikolaus Harnoncourt Zentrum (NHZ)

Claudia Stobrawa

À l’occasion du premier colloque des orchestres historiquement informés – LaDocumenta.eu à La Seine Musicale (22-24 juin 2023).

 

Mesdames et Messieurs,

Sept ans après sa mort, ses héritiers ont décidé d’ouvrir son vaste héritage artistique à la postérité. La région de Haute-Autriche prend en charge le financement du nouveau centre Nikolaus Harnoncourt pour une durée initiale de cinq ans. Il fait partie de l’université privée Anton Bruckner de Linz. Nous sommes maintenant au tout début de la phase de développement.

Tout d’abord, nous, les trois collaborateurs, allons transférer ces archives au nouveau Centre. Elles se trouvent actuellement dans le grenier de la maison de Nikolaus Harnoncourt à St. Georgen im Attergau en Haute-Autriche, où il vivait depuis 1972. Il y avait aménagé un espace séparé avec des étagères bien ordonnées. Il s’agit d’environ 50 mètres d’étagères de partitions de direction, de matériel d’orchestre, de matériel d’enseignement, de pensées, de notes, de plans de répétition, de programmes ainsi que de critiques, d’interviews, d’articles de journaux, de documentations, de photos, etc.

Ces documents seront numérisés et archivés numériquement aux archives régionales de Linz, ce qui permet de les sauvegarder pour la postérité. Contrairement à la bibliothèque de Ton Koopman à l’Orpheus Instituut de Gent, les originaux seront ensuite ramenés à la maison de St. Georgen im Attergau. Ils restent en possession de la famille.

Il en va de même pour le matériel audio-visuel qui sera intégré à la médiathèque nationale à Vienne : je ne peux même pas citer le nombre exact d’enregistrements commerciaux réalisés à partir de 1950. Il y a toujours eu des rééditions, des compilations et des coffrets. Aujourd’hui encore, d’autres enregistrements de concerts inédits paraissent, comme par exemple les enregistrements radio avec le Concertgebouw Orkest de 1981 à 2012 sur 15 CD, ou encore récemment, la réédition des premiers enregistrements Vanguard et MHS de 1960 à 1970 sur 11 CD. Les cantates sacrées de Bach avec Gustav Leonhardt représentent à elles seules 60 CD. Il s’agit en tout cas de centaines d’enregistrements sonores et vidéo. J’espère pouvoir vous donner un chiffre dans un an. Il y a en outre des enregistrements de répétitions inédits, des interviews, des enregistrements de son enseignement, des documentations, des reportages d’actualité, etc.

L’ensemble du matériel sera trié et publié sur notre site web, dans la mesure où le cadre juridique le permet, et sera ainsi globalement disponible pour la recherche et l’enseignement. Le site web sera lancé à l’automne 2024 et vous pourrez y feuilleter ses partitions avec les nombreuses annotations et notes. De plus, chaque œuvre sera entourée du matériel correspondant, comme des enregistrements, des programmes, des plans de répétition, des annonces, des notes, des correspondances, des interviews, des critiques, des photos, etc. Nikolaus Harnoncourt a enregistré certaines œuvres plusieurs fois et avec différents orchestres. Les spécialistes de l’interprétation peuvent alors très bien faire des recherches et travailler de manière comparative.

Le site web sera publié en allemand et en anglais, les documents scannés dans leur langue respective, le plus souvent en allemand. Dans les années 1950 et 1960, une grande partie du répertoire baroque n’était pas encore éditée. Les Harnoncourt (Nikolaus et Alice) ont recopié à la main les partitions, voire des opéras entiers, à partir des originaux ou des fac-similés dans les bibliothèques nationales, les archives et les monastères. En 1951, Alice a étudié le violon pendant un an ici à Paris avec Jacques Thibaud et a recopié à la main beaucoup de musique de Lully et de Rameau à partir du manuscrit original à la Bibliothèque nationale. Sans photocopieuse, tout devait être transcrit à la main. C’est une pratique baroque vécue ! Il y a encore des mètres de matériel manuscrit dans ces archives. Il en allait de même pour les instruments. A cette époque, on a cherché, trouvé, emprunté et restauré des instruments baroques originaux. Lentement, on a essayé de se familiariser avec eux, d’en tirer des sons. Ce que firent Alice et Nikolaus. Aujourd’hui, les musiciens achètent des copies d’instruments anciens ou les commandent à un facteur d’instruments. C’était totalement impensable à l’époque. Ces archives sont donc une histoire vivante de la musique !

Pour l’utilisation de ce trésor, nous aspirons à une mise en réseau internationale avec d’autres universités, conservatoires, musiciens et orchestres baroques, comme nous commençons à le faire aujourd’hui lors de ce colloque. L’initiative de LaDocumenta.eu de mettre en ligne les archives des orchestres baroques s’inscrit exactement dans cette lignée de publication et répond parfaitement à notre objectif de collaboration globale.

Revenons au centre Nikolaus Harnoncourt et à son deuxième pilier. Nous fondons également un atelier de réflexion culturelle et philosophique. Harnoncourt n’était pas seulement un musicien, mais également un grand penseur sur les thèmes sociaux de notre époque et ne manquait jamais une occasion d’attirer l’attention des politiciens ou autres décideurs sur les dysfonctionnements de l’éducation et de la vie culturelle.

Dans le cadre de l’atelier de réflexion, nous inviterons des personnalités de notre temps à se pencher sur des thèmes de société actuellement brûlants. Ces symposiums auront lieu à St. Georgen im Attergau et seront diffusés en ligne.

Toute sa vie, Harnoncourt a accordé une importance particulière à la formation intellectuelle de la jeunesse, dont il considérait l’évolution avec beaucoup d’inquiétude. En collaboration avec l’école de musique de St. Georgen im Attergau, le centre va réaliser un projet pilote pour la promotion des jeunes dans l’esprit de Nikolaus Harnoncourt.

Dans le cadre de summer schools, les compagnons de route d’Harnoncourt transmettront son cheminement aux étudiants.

Voilà donc les quatre piliers du travail du centre : l’exploitation et la sauvegarde des archives matérielles, la recherche et la mise en réseau, la promotion des jeunes et l’atelier de réflexion.

Mais ce qui est plus important que ces informations techniques, c’est le sens même de notre travail : comprendre pourquoi nous avons encore besoin de Nikolaus Harnoncourt aujourd’hui. POURQUOI était pour lui la question décisive et quotidienne.

Nous sommes aujourd’hui arrivés à un point où la pratique d’exécution baroque ou historique fait partie des canons des conservatoires, où elle est complètement établie tant auprès du public que des organisateurs, où elle fait partie du bon ton et où d’innombrables ensembles ont été créés dans le monde entier pour jouer de la musique ancienne au plus haut niveau. Des compositeurs et des œuvres oubliés continuent d’être découverts, édités, exécutés et enregistrés. Les connaissances techniques de jeu, stylistiques et organologiques instrumentales sont transmises à la perfection aux jeunes musiciens.

Et c’est justement cette arrivée dans l’établissement qui recèle un danger contre lequel Harnoncourt a mis en garde. Je cite : « Lorsque quelque chose est établi, c’est perdu, banal et perd sa raison d’être. Tout doit toujours être pour la première fois ».

Pour Harnoncourt c’était une horreur, voire une trahison, que la musique, cet art le plus élevé et le plus profond soit considéré uniquement comme un plaisir esthétique, un divertissement du soir ou un « embellissement de la vie ».

Nous sommes donc mis au défi chaque jour à nous confronter à ce merveilleux héritage des cinq siècles passés, retisser les liens et y chercher l’essentiel avec humilité.

Je cite encore Nikokaus Harnoncourt : « Les musiciens – oui, tous les artistes – ont un langage puissant et sacré à administrer. Nous devons tout faire pour qu’il ne se perde pas dans le sillage du développement matérialiste ».

Transmettre aux jeunes et aux musiciens cette même philosophie : chercher le sens de leur pratique musicale en saisissant le savoir universel et trouver ainsi l’inspiration pour leur propre interprétation, tel est le véritable objectif du Centre Nikolaus Harnoncourt. Et pour que vous ne restiez pas sur votre faim jusqu’à l’ouverture l’année prochaine, je vous invite à lire les livres d’Harnoncourt, en particulier, Le discours musical et Le dialogue musical en traduction française ou anglaise, non pas pour suivre Harnoncourt, mais pour trouver votre propre voie.

 

Claudia Stobrawa

Directrice du NHZ

Contact: claudia.stobrawa@bruckneruni.at

Site internet de La documenta.eu : https://www.insulaorchestra.fr/la-documenta-eu/

 

 

 


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